Trémois

« Nous sommes tous fondus ensemble »

Georges Mathieu dans une lettre datée du 8 mars 1972 adressée à son ami Trémois reconnaissait en lui « le seul artiste vivant qui nous réconcilie avec la Beauté au sens platonicien », celui qui « participera à la Renaissance qui se prépare, parce que la jeunesse de demain trouvera dans son œuvre de nouvelles raisons d’espérer ».

Pour Trémois, la beauté s’exprime avant tout par le trait ; un trait à l’absolue pureté dont il tire l’essence dans l’art pariétal, fasciné par le mystère de ces sublimes tracés réalisés il y a quelque dix-sept mille ans ; un trait auquel il restera fidèle durant plus de 80 ans de création et que célébrera Montherlant comme « infaillible et universel pour cerner les êtres » ou Axel Kahn évoquant ce « trait fin qui crée, souffre, crie, aime. Le trait d’une humanité qu’il s’emploie à débusquer dans le corps ».

Car Trémois est amoureux du corps humain, de ces couples, véritables sources de vie, qu’il réunit dans l’étreinte ; également passionné par le corps de l’animal qu’il découvre un peu plus chaque jour en complicité avec le biologiste Jean Rostand, un animal aux formes multiples auquel il s’identifie, illustrant par là même la pensée de Darwin selon laquelle nous sommes, hommes et animaux, « tous fondus ensemble ».

Dans cette œuvre majeure de 2001, toutes les composantes de l’univers de l’artiste se trouvent rassemblées. Imbriquant étroitement le fond et la forme ; elle révèle des questionnements au carrefour de l’art, de la science, de la métaphysique, comme un permanent souci de respecter l’intégrité et l’harmonie d’une ligne dont Claudel disait qu’elle était « le signe de l’individu ».

    Pierre- Yves Trémois (1921-2020).
 » Sommeil 2001-, Songe V ». Huile sur toile.
Signée et titrée. Dim. 190×225 cm. Catalogue raisonné Éditions Monelle H
ayot, 2017

Cette symbiose entre l’homme et l’animal, ne la retrouve-t-on pas dans ce magnifique plat réalisé par Picasso, lui aussi passionné par les « arts du feu » qui firent la réputation de Vallauris ? C’est dans la tauromachie, symbole à la fois de la violence du monde comme du respect de l’homme pour l’animal, que l’artiste trouve l’une des sources majeures de son inspiration. C’est à huit ans qu’il assiste à sa première corrida : un cérémonial en plusieurs phases parfaitement réglées, un dénouement tragique qui le poursuivront tout au long de sa vie et lui feront dire que s’il n’avait pas été peintre, il aurait aimé être picador. Le picador, le cheval, le toréador : les artisans d’un ballet où se mêlent la vie et la mort annoncée d’un taureau à qui l’univers méditerranéen prête des vertus sacrées, d’un animal devenu emblématique de l’imaginaire espagnol de Pablo.

Et là encore, comme dans le tableau de Trémois, la référence à Lascaux, perceptible dans cette démultiplication d’animaux traités en brun sur fond blanc, comme des ombres chinoises, annonciateurs d’un Minotaure issu de la mythologie grecque, illustrant la dualité de l’homme, de sa bestialité comme de son humanité … La démonstration, s’il en était besoin, que l’art n’a pas de frontières, spatiales ni temporelles.

Pierre- Yves Trémois (1921-2020). « Aquarium IV 2018″.
Acrylique sur toile. Signée et titrée.
Dim. 90×307 cm.

« Trémois poursuit une œuvre magique : il recense les liens et les abîmes entre l’homme et les autres règnes » ; ainsi s’exprime Louis Pauwels, soulignant ainsi la passion de l’artiste pour le monde animal ; un monde qui fait partie intégrante de son œuvre et qu’il associe, dépassant le mode de la simple représentation aussi parfaite soit-elle, à ses interrogations sur nos origines comme sur notre avenir, un monde qu’il couple avec les éléments fondamentaux que sont l’air, la terre, la mer. Un peu à la manière d’un Dürer dont il est un admirateur fervent, qui consacra bon nombre de ses dessins, aquarelles, gouaches et estampes, autant au rhinocéros qu’à la chouette ou au crabe, il l’investit totalement, tentant d’y trouver des réponses à ses questions, y intégrant parfois le corps d’un homme ou le visage d’une femme, comme pour induire le fait que la bête est notre lointain aïeul. C’est en 1977 que Trémois réalise, à travers des sculptures en bronze poli un bestiaire extraordinaire, un thème qu’il reprendra à partir de 1994, époque à laquelle il sculpte un « Hommage à Jules Verne », annonciateur de ce visage intégré à la pieuvre de l’Aquarium, réalisé quelques mois avant sa disparition et proposé ici. Dans ce dernier tableau, l’univers marin de Trémois se trouve contracté, mêlant les mythes anciens comme celui de Méduse à l’évocation de la pieuvre géante de « Vingt-mille lieues sous les mers », avec en filigrane, toujours cette volonté permanente de tenter de percer les mystères originels

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